Parmi les ouvrages récents sur la maison et l’intérieur, vous trouverez celui de Mona Chollet, « Chez soi, une odyssée de l’espace domestique ». Paru en 2015, il a figuré parmi les livres les plus lus lors du premier confinement. Voici ci-dessous un extrait glané au chapitre « Métamorphoses de la boniche » : cette petite philosophie du ménage rejoint, selon moi, la démarche du Feng Shui.
« Les pensées aussi s’éclaircissent lorsqu’on trône au milieu d’un intérieur fraîchement briqué et rangé ; l’esprit se désencombre, l’énergie se renouvelle, l’horizon se dégage. Reprendre en main son cadre domestique, le retourner de fond en comble, interroger la présence de chaque objet, lui rendre son éclat d’un coup de chiffon avant de le remettre à sa place ou de lui en trouver une meilleure, permet d’éprouver son pouvoir sur les choses, de redéfinir sa propre place dans le monde, de la préciser, de l’actualiser. Même en vivant dans une société qui dévalorise le travail ménager, au demeurant, il arrive que l’on y trouve du sens et du plaisir.
« Si je dis que faire la poussière pour moi c’est une tâche noble, tout le monde va se marrer, et pourtant pour moi c’est ça », lance une jeune femme. Un graphiste de vingt-sept ans prénommé Raphaël, qui vit seul et déteste les tâches domestiques, avoue qu’il lui arrive malgré tout de frôler la révélation : « Quand je range mon appartement, c’est vrai qu’il commence à prendre un peu de gueule, qu’il commence à devenir quelque chose de crédible, un vrai chez-moi. »
Faire le ménage, c’est, comme l’écrit le philosophe Jean-Marc Besse, « réunir de nouvelles conditions pour que quelque chose puisse avoir lieu ». C’est « dégager de l’espace », « ouvrir ou rouvrir un espace propre pour la vie jour après jour ». Ce qui est rendu propre redevient « propre ». On pourrait trouver du charme à ces moments qui rendent tous les autres moments possibles, comme les auditeurs d’un concert classique, lorsqu’ils prennent place dans la salle, écoutent les musiciens accorder leurs instruments et y entendent la promesse de l’enchantement à venir. On pourrait savourer cette suspension, ce léger retrait par rapport à la vie quotidienne ; on pourrait apprécier l’angle différent qu’ils offrent sur les choses. Chacun, fille ou garçon, pourrait être sensibilisé dès l’enfance au bien-être et à la beauté que produit ce travail, à la façon dont il permet de s’évader, de méditer et, en même temps, de reprendre contact avec son milieu : « Vous ne pouvez point affirmer ce qu’est en réalité un tableau ou un objet tant que vous ne l’avez pas épousseté tous les jours », écrivait Gertrude Stein. Alors que la culture occidentale reste profondément marquée par la pensée cartésienne, qui postule une séparation radicale de l’être humain et de son milieu, et n’en finit plus de payer le prix de cette erreur, une tâche aussi obscure que le ménage donne lieu à des expériences troublantes. Une jeune femme décrit ainsi sa réaction lorsqu’elle nettoie son appartement et qu’un coup de balai un peu trop violent va heurter le pied de la commode : « Je dis “aïe !”, comme si j’avais mal. »

Plus d’informations sur le livre : https://www.editionsladecouverte.fr/chez_soi-9782355220777